Collaboratif à la française : Et si c’était enfin la bonne ?

Dans le cadre de sa stratégie sur le cloud de confiance, le gouvernement alloue une enveloppe de 23 millions d’euros à trois projets de bureautique. L’ambition : soutenir le passage à l’échelle des acteurs français et renforcer les offres existantes.

Deux adhérents historiques d’EuroCloud nous offrent leur vision.

Alain Garnier
CEO Jamespot
Quelle seront les principales fonctionnalités de CollabNext ?

Déjà rappelons ce qu’est CollabNext. C’est un projet pour mettre sur le marché une suite collaborative souveraine porté par l’ambition France 2030.

Il y a une forte attente du marché d’avoir des alternatives, de confiance aux suites bureautiques existantes (Microsoft & Google).

Jamespot a répondu à cet appel à projet en tant que porteur avec des acteurs structurants du Cloud (Wallix, Outscale, Alinto, CleverCloud, Glowbl, X-Wiki, Datakeen,…) car nous avons une base déjà suffisamment solide et industrielle avec notre solutions Jamespot Digital Workplace.

On va donc retrouver les basiques d’une suite bureautique : Annuaire, Mail, Agenda, Documents (Drive & édition), Visio. Le tout dans le Cloud bien sûr.

Mais également, des Applications qui vont répondre à l’enjeu complet d’une Digital Workplace : l’Intranet, le Réseau Social d’Entreprise, les outils de Knowledge (Wiki / Classes apprenantes) etc… Le tout proposé dans un AppStore Jamespot qui va être étendu pour l’occasion aux éditeurs tiers.

Et à ces fonctionnalités « end user » SaaS, seront ajoutées des capacités IaaS (Outscale), PaaS (CleverCloud) et de cyber (Wallix) pour en faire une Stack complète Cloud pour les DSI.

Quand l’offre sera-t-elle commercialisée ?

Nous avons d’ores et déjà des accords commerciaux pour la partie SaaS qui va du Mail à la Visio en passant par le document. C’est donc déjà disponible.

En revanche les capacités IaaS et PaaS seront déployées dans un deuxième temps. Il est prévu une version majeure par an sur quatre ans… même si on est dans le Cloud/SaaS et que nous allons faire évoluer notre offre au fil de l’eau comme aujourd’hui.

Quelles sont ses ambitions en part de marché dans les 3 prochaines années (ou plus) ?

L’ambition est forte. Le consortium vise à 4 ans de prendre 10% de part de marché des solutions collaboratives en France par exemple.

C’est une ambition portée par la volonté (et l’obligation légale de plus en plus) de se mettre dans les cloud du RGPD, de s’extraire des lois extraterritoriales bien sur. Mais aussi d’aller sur des solutions novatrices qui changent du paradigme « bureautique » tel qu’on le connait depuis 30 ans.

Enfin, la pression sur les prix imposée par les leaders du marché créent une nouvelle fenêtre d’opportunité pour des nouveaux acteur émergents.

Quelle est la part d’IA qui sera intégrée à cette offre ?

C’est dans les cartons. Nous avons suivi avec intérêt l’évolution de la demande d’IA générative ou de conseil dans les suites bureautiques. Mais pas que. Et dans le consortium, nous avions prévu (il y a deux ans maintenant) de travailler avec Datakeen qui fournit des APIs d’IA multiples pour traiter ces cas. Reste à en définir un périmètre utile pour les individus et les organisations au delà de l’effet whaou qu’on a vécu ces temps ci.

Mais on est clairement dans une nouvelle phase de l’usage de ces technologies qui sont devenues matures & puissantes tout en devant adaptées aux usages du quotidien.

Que répondre à ceux qui affirment que c’est trop tard et trop peu pour concurrencer les offres américaines qui dominent totalement le marché ?

Que le meilleurs moyen de perdre c’est en effet de ne pas livrer bataille. On laisse aux défaitistes cette attitude.

Et qu’il n’existe pas de « suprématie » dans l’industrie qui ne dure éternellement… Parfois cela peut être long. Mais les marchés finissent toujours par se ré-équilibrer et se redistribuer.

Sur le « trop peu » on peut par exemple prendre l’exemple de Méta qui a mis des milliards pour un Métavers qui n’aboutit pas. Donc on peut aussi gâcher beaucoup de moyens. CollabNext est un projet à 13M€. Je pense qu’on peut parler de projet structurant à ces niveaux là de financement en France. De quoi construire et amorcer notre prise de position sur ce marché.

Enfin, que sur la question qui nous occupe, il y a à la fois une soif de sortir de ces oligopoles, de volonté politique, et de besoin de diversité ouvert par de nouveaux usages qui me laisse penser que c’est justement maintenant que se construisent des avenirs nouveaux.

Louis Naugès
Chief Strategy Officer Wizy.io
Une bureautique franco-française, quelle probabilité de réussite ?

Il y a des responsables politiques qui ont de la suite dans leurs idées folles…

Les solutions bureautiques SaaS/Cloud existent depuis 2007, avec le lancement de Google Apps, devenu Workspace. J’ai activement participé à ce démarrage avec Revevol, et j’en suis fier.

Depuis cette date, j’ai assisté à de nombreuses tentatives pour créer des alternatives françaises à “l’insoutenable domination” du marché de la bureautique cloud par Google et Microsoft. Elles ont toutes échoué, et c’était écrit dès le premier jour. Rappel : Google et Microsoft sont membres d’Eurocloud.

Même Google, qui avait l’avantage d’être le premier sur le marché, a du mal à résister au rouleau compresseur Microsoft 365. Google avec environ 20%, Microsoft avec près de 80% de ce marché ne laissent que des miettes aux autres acteurs, et c’est vrai dans le monde entier.

Début 2023, le Ministère de l’Education Nationale a annoncé fièrement que ces deux outils bureautiques devaient être interdits dans le monde de l’éducation. Dans un billet de blog, j’ai fustigé cette décision ridicule, qui ne pourra pas et ne sera pas appliquée.

Et ça repart pour un tour !

Le gouvernement français relance un projet de bureautique franco-française.

C’est un chef d’œuvre ! Un condensé parfait de ce qu’il ne faut pas faire :

  • Création de trois consortiums différents, qui seront évidemment en concurrence.
  • Tentative de faire travailler ensemble 18 éditeurs différents.
  • Une solution franco-française, construite exclusivement avec des éditeurs français.
  • Un budget de 23 M€ : c’est microscopique au vu de l’immensité de la tâche. C’est aussi trop élevé car cet argent sera dilapidé en pure perte.

Je connais nombre de dirigeants de ces 18 entreprises et ce n’est pas eux que je mets en cause, mais l’ineptie de ce projet : la bureaucratie au service de la bureautique.

Cerise sur le gâteau, la DINUM, Direction Interministérielle du Numérique du gouvernement français, pousse en parallèle toute une panoplie d’outils bureautiques : Webconf, Webinaire, Audioconf, Tchap (Messagerie instantanée), Resana (plateforme collaborative)…Cela en devient risible et indécent.

Qui peut croire une seconde qu’une entreprise, un dirigeant, s’ils sont libres de leurs décisions, vont abandonner Google Workspace ou Microsoft 365, outils performants qui s’améliorent en permanence.

Ce nouveau projet est une illustration parfaite de l’incapacité des responsables politiques français à accepter la réalité du marché du numérique mondial. Ils vivent encore sur une illusion dangereuse : la France, et évidemment la France seule, est capable de briller dans tous les domaines du numérique ! Messieurs les politiques, réveillez-vous, sortez de vos doux rêves de souveraineté numérique française universelle. Acceptez, une bonne fois pour toute, une évidence : il y a des combats numériques que la France a définitivement perdu. Quelques exemples :

  • Les systèmes d’exploitation pour mobiles : Android et iOS représentent 99% du marché mondial, à l’exception de la Chine.
  • Les solutions IaaS, Infrastructures as a Service, dominées dans le monde occidental par AWS, GCP et Azure.
  • Les fondeurs de composants électroniques, marché dominé par TSMC à Taiwan, Samsung en Corée du Sud et Intel aux Etats-Unis.
  • Les solutions bureautiques, dominées par Microsoft et Google.

Continuer à investir du temps, de l’argent et des ressources humaines dans ces combats d’arrière-garde, définitivement perdus, c’est le meilleur moyen pour l’Europe et la France de perdre toute possibilité de peser dans l’industrie mondiale du numérique.

Pour esperer continuer à exister en 2030 dans le marché mondial du numérique, l’Europe doit choisir ses combats, les domaines dans lesquels elle peut encore tenir une place raisonnable. La bureautique Cloud n’en fait pas partie.

Je reviens un moment sur ces projets de “bureautique française” pour enfoncer deux clous supplémentaires dans le cercueil de ce projet :

  • Les 23 M€ promis seront répartis sur 4 ans, c’est-à-dire entre 2023 et 2027. Dans une industrie qui évolue très vite, face à des solutions bureautiques américaines qui vont, en 2023, doper leurs outils bureautiques à l’IA Générative, ce délai est ridiculement long.
  • Pour avoir la moindre possibilité de réussite, une solution SaaS universelle, bureautique et collaborative doit viser le marché mondial. Avec les trois projets annoncés, franco-français dans le choix des fournisseurs et des financements, cette obligation de présence à l’international disparaît.
    • Qui, en Europe, va envisager d’utiliser l’une de ces trois plateformes ? Réponse, personne !
    • Qui, dans le reste du monde, va envisager d’utiliser l’une de ces trois plateformes ? Réponse, personne !

Cette obsession hexagonale du numérique est désespérante. Au mieux, ces quatre solutions se partageront 3% à 5% du marché français, en priorité dans le secteur public, sur lequel on mettra une pression politique forte pour essayer de les imposer, contre la volonté des utilisateurs. Chacun de ces consortiums peut, dans le meilleur des cas, espérer équiper de 1% à 2% des personnes qui travaillent dans les bureaux en France.

  • Quel beau marché !
  • Quelle belle croissance en vue !
  • Des millions d’euros de CA les attendent !

Un éditeur sérieux de logiciel SaaS répondant à des besoins universels, et qui limite son ambition au seul marché français, je n’en connais pas. Je suis cofondateur de WizyVision, solution SaaS universelle pour les collaborateurs terrain, les FLW, Front Line Workers en anglais. WizyVision a été élue Startup de l’année 2021 par EuroCloud France.

La solution WizyVision existe depuis 4 ans : elle est déjà utilisée sur les cinq continents ! Notre seul marché, c’est le monde. WizyVision est utilisable dans plus de dix langues. WIzyVision n’a jamais bénéficié de subventions millionnaires pour créer et commercialiser cette plateforme. Nous avons construit WizyVision, une plateforme numérique compétitive, unique au monde. Elle n’a pas en face d’elle des géants comme Microsoft 365, ce qui nous permet de pénétrer le marché mondial plus vite.

Oui, et heureusement, il y a encore en France des dizaines d’entrepreneurs dans les logiciels SaaS qui n’ont pas besoin de se transformer en courtisans du pouvoir politique pour survivre. Beaucoup sont membres d’Eurocloud France.

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